dimanche 7 février 2010

Zeitschichten

Zeitschichten. Erkennen und erhalten. Denkmalpflege in Deutschland. 100 Jahre Handbuch der Deutschen Kunstdenkmäler von Georg Dehio (Strates temporelles. Identifier et sauvegarder. La conservation des monuments artistiques en Allemagne. 100e anniversaire de l’Inventaire des monuments artistiques allemands de Georg Dehio), Munich-Berlin, Deutscher Kunstverlag, 2005, 340 p.
Dresde constituait un lieu idéal pour la tenue, en 2005, d’une exposition rétrospective embrassant deux siècles de conservation des monuments en Allemagne : on venait à peine de consacrer l’église Notre-Dame (Frauenkirche) reconstruite en style baroque 60 ans après l’anéantissement de la ville par les bombardements britanniques de février 1945. Par ailleurs, la capitale de la Saxe s’apprêtait à célébrer l’année suivante le huitième centenaire de sa fondation. Enfin, Dresde avait accueillit, les 24 et 25 septembre 1900, le premier colloque réunissant les spécialistes germaniques de la conservation des monuments. Le centenaire de la publication de l’Inventaire des monuments artistiques allemands de l’historien Georg Dehio a fourni le prétexte de l’exposition consacrée aux « Strates temporelles » sur lesquelles est fondée la conservation des monuments en Allemagne.
Le catalogue rassemble 46 contributions, pour la plupart de 4 à 6 pages. Il commence par trois essais théoriques sur « La conservation des monuments et la société moderne » (p. 18-45) et trois autres consacrés aux conceptions de Georg Dehio, à l’histoire de son Inventaire des monuments artistiques allemands et à la réception de cet ouvrage en 1905 (p. 46-77). La plupart des contributions qui suivent sont en fait des réflexions thématiques sur la conservation des monuments à partir d’études de cas, menées par des architectes, des professeurs et des conservateurs des monuments historiques. Trois études sont rassemblées sous le titre « Monuments nationaux au XIXe et au XXe siècle » : elles concernent la Wartburg d’Eisenach, la cathédrale de Cologne et la porte de Brandebourg à Berlin (p. 78-99). Sous le titre « Conserver et non restaurer » sont présentés trois cas plus complexes qu’il n’y paraît : le château de Heidelberg, la reconstruction de l’église Saint-Michel de Hambourg à la fin du XIXe siècle et la restauration, à la même époque, de la cathédrale de Brême (p. 100-117). Les deux études suivantes concernant les rapports entre « Conservation des monuments et protection du patrimoine » sont plus originales que les précédentes : on y apprend que le mouvement de protection du patrimoine (Heimatschutzbewegung) a beaucoup fait pour la conservation des ensembles urbains, tout en initiant dans l’entre-deux-guerres la « conservation interprétative » des monuments qui devait connaître un développement considérable après 1945 (p. 118-129). Trois contributions illustrent le chapitre relatif à « La conservation des monuments pendant le IIIe Reich », forcément attendu dans un tel ouvrage : sont évoqués le cas de Nuremberg, celui du château de Wewelsburg utilisé par la SS d’Himmler et enfin la « conservation créatrice » appliquée par un certain Rudolf Esterer au château de Trifels (p. 130-145). Seuls deux textes évoquent la reconstruction postérieure à la Deuxième Guerre mondiale, à travers le cas de la République démocratique d’Allemagne et celui de la Westphalie en République fédérale d’Allemagne (p. 146-157). Deux textes abordent l’après-guerre de manière indirecte à travers « La remise en cause de l’urbanisme moderne », à l’occasion notamment de l’année européenne du patrimoine de 1975 (p. 158-169). Sont ensuite étudiées « Les nouvelles tâches de la conservation depuis les années 1970 » : les jardins du château de Brühl et la demeure seigneuriale de Ludwigsburg, le camp de Buchenwald et les monuments commémoratifs du camp de Bergen-Belsen, le site industriel sarrois de Völklingen, le Bauhaus de Dessau et les « paysages culturels » constituent autant d’exemples de ces nouvelles tâches posant aux professionnels du patrimoine des problèmes techniques autant qu’éthiques (p. 170-209). A cet ensemble jusqu’ici très cohérent s’ajoutent quatre études curieusement rassemblées sous le titre « La conservation des monuments classiques » : elles évoquent aussi bien les monuments romains de Trêves que la cathédrale médiévale de Limbourg et le château de Dresde (p. 210-235). La section suivante retrouve une certaine unité en présentant de manière historique « Le dialogue de la conservation des monuments avec les sciences » du XIXe siècle à notre époque : une contribution originale reproduit et présente les carnets de notes, les appareils photographiques, les instruments de mesure (niveaux, théodolites, etc.), des premiers conservateurs des monuments allemands, alors que deux articles décrivent les méthodes modernes de conservation et de datation issues de la dendrochronologie ou de la minéralogie (p. 236-287). En guise de conclusion sont présentés trois textes ouvrant des « Perspectives sur la conservation des monuments aujourd’hui ». Les auteurs soulignent que depuis la réunification des deux Allemagne en 1990, les bâtiments emblématiques de l’ancienne RDA sont laissés à l’abandon quand ils ne sont pas détruits. Ils indiquent que la lenteur de la reconstruction en RDA après la Deuxième Guerre mondiale a paradoxalement permis qu’y soient préservés de nombreux monuments dont les équivalents ouest-allemands ont disparu, victimes de la modernisation après avoir échappé aux bombardements. Ils insistent enfin sur la difficulté d’appréhender les évolutions récentes dont témoigne par exemple le travail de restauration de l’architecte britannique David Chipperfield sur les bâtiments du Nouveau musée de Berlin.
Zeitschichten pâtit de l’inégale qualité des contributions qui le composent : des poncifs de l’histoire du patrimoine voisinent avec des monuments d’intérêt secondaire ; l’ensemble apparaît au premier abord un peu incohérent et le plan du volume ne semble pas toujours pertinent, faute d’un véritable choix, certes difficile, entre chronologie des édifices d’une part et chronologie des mesures de conservation ou de restauration d’autre part. Au chapitre des regrets, on peut signaler l’absence d’une conclusion ou au moins d’un bilan des différentes contributions qui semble pourtant de rigueur à la fin d’un tel ouvrage. Les illustrations, en revanche, sont très nombreuses et d’excellente qualité, ce qui tient peut-être au soutien apporté à l’exposition par de nombreuses institutions et plusieurs grandes entreprises allemandes (on peut d’ailleurs se demander si une telle initiative réunirait en France autant de mécènes…). Le lecteur dispose d’un index des noms de personnes et peut aussi se reporter aux notices personnelles des auteurs qui définissent un panorama du monde des conservateurs des monuments en Allemagne, de leur formation et de leurs possibilités de carrière.
L’hétérogénéité des contributions s’explique en fait par la diversité des monuments évoqués mais aussi par la variété des approches mises en œuvre en Allemagne par les professionnels du patrimoine. Cette hétérogénéité apparaît, à la réflexion, comme la principale qualité de ce volume. Comme les coupes stratigraphiques auxquelles renvoient les « strates temporelles » du titre, Zeitschichten ne prend son sens que si l’on met en relation tous ces articles qui finissent effectivement par donner de la conservation des monuments en Allemagne une vue d’ensemble susceptible d’intéresser les historiens de l’Allemagne aussi bien que ceux du patrimoine.

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