Une Expérience moderne. Le Comité Nancy-Paris. 1923-1927, Lyon, Editions Fage, 2006, 152 p.
Depuis quelques années, le développement parallèle du tourisme de masse et du réseau de TGV aiguise les appétits des villes de provinces, après l’ouverture du Louvre à Lens et avant celle de Beaubourg à Metz. Que l’installation d’annexes de musées parisiens à quelques heures de train de la capitale apparaisse comme un succès d’une décentralisation culturelle dont le concept même échappe à la plupart de nos voisins habitants des pays fédéraux confirme l’existence d’un Sonderweg français dans le domaine de la culture. On aurait tort, cependant, de rendre les évolutions récentes seules responsables d’un tel phénomène. Des siècles de centralisation politique et culturelle ont conduit les provinciaux à considérer que tous les chemins menaient à Paris, comme en témoigne l’histoire du Comité Nancy-Paris.
C’est à la fin de l’année 2006 que s’est ouverte au musée des Beaux-arts de Nancy l’exposition intitulée « Une expérience moderne. Le Comité Nancy-Paris. 1923-1927 ». L’objectif était double : il s’agissait de présenter aux visiteurs le plus grand nombre d’œuvres montrées lors d’une exposition organisée à Nancy par le Comité Nancy-Paris en 1926, tout en présentant l’histoire de ce comité.
Le fac-simile du catalogue de l’exposition de 1926, opportunément reproduit au début de celui de 2006 (p. 1-15), permet de comprendre l’importance du comité. On trouvait parmi les peintres invités Picasso, Braque, Chagall, Derain, Matisse ainsi que Miro, de Chirico, Arp, Man Ray. La liste des sculpteurs exposant n’était pas moins prestigieuse puisqu’elle comptait entre autre Laurens, Maillol, Zadkine et Lipchitz. Les Lorrains étaient naturellement bien représentés avec Victor et Jean Prouvé, Jean et André Lurçat. Alors que le chapitre peinture du catalogue de 1926 était introduit par Ozenfant, c’est André Lurçat qui avait rédigé le manifeste figurant en tête de la liste des architectes invités. Cette liste réunissait la plupart des ancêtres et des tenants du mouvement moderne naissant : les noms d’Auguste et Gustave Perret, André Lurçat, Le Corbusier, Mallet-Stevens, Guevrékian suffiraient à rendre la section d’architecture de l’exposition intéressante. Mais celle-ci était beaucoup plus internationale que les sections de peinture et de sculpture qui rassemblaient surtout des Français ou à des étrangers installés en France. Quatre des pays à la pointe du mouvement moderne étaient solidement représentés. Les Pays-Bas l’étaient par les membres du groupe de Stijl (Théo van Doesburg, C. van Eesteren, J. J. P. Oud, G. Rietveld, Mart Stam). La Belgique était représentée par Victor Bourgeois et plusieurs modernistes. La section autrichienne rassemblait plusieurs architectes autour des noms de Peter Behrens et de Hoffmann. Quant à la section allemande, elle se limitait certes à trois architectes, mais qui deviendraient ultérieurement mondialement célèbres : L. Hilbersheimer, Mies van der Rohe et W. Gropius. Un erratum ajouté à la fin du catalogue de 1926 signalait d’ailleurs que ces trois architectes devaient être rattachés aux Néerlandais du Stijl : l’existence d’une section allemande soulevait encore des problèmes, huit ans après la fin de la guerre.
Un texte publié dans ce catalogue de 1926 sous le titre « Le Comité Nancy-Paris » expliquait que quelques jeunes Nancéiens qui « avaient à cœur de ne plus laisser leur ville dans l’ignorance du mouvement artistique français depuis vingt-cinq ans » avaient estimé « nécessaire qu’un bureau d’informations artistiques reliât Paris et le reste de la France à la capitale lorraine ». Christian Debize présente dans sa contribution au catalogue l’histoire du Comité Nancy-Paris (p. 24-35). Il s’intéresse aux différents membres du comité (une biographie de chacun d’entre est fournie par Claire-Marie Germaux, p. 41-45). Il explique que L’Esprit nouveau (1921-1925), fondé par Paul Dermée, Ozenfant et Jeannneret constitue certainement une des principales influences des membres fondateurs du Comité qui cherchent cependant des soutiens plus classiques du côté de la Nouvelle revue française de Jacques Rivière (p. 26-27). Toute l’entreprise paraît en fait fondée sur une « ambiguïté » dans le domaine esthétique, sur un « hiatus entre modernité et contemporanéité » (p. 27). Vers 1925, les deux membres les plus actifs du comité, André Thirion et Georges Sadoul, penchent de plus en plus vers le communisme et, simultanément, vers le surréalisme (p. 29). Debize souligne bien que le pacifisme et même l’antimilitarisme des Surréalistes, le procès du nationalisme de Barrès sont « irrecevables dans une ville que l’histoire récente rend réceptive à l’esthétique de la frontière ». Dès 1926, les peintres surréalistes sont exposés dans une section « supplémentaire », distincte de celle qui rassemble les cubistes. Une partie des membres du comité démissionne en signe de protestation contre l’intégration de tableaux surréalistes pour des raisons esthétiques qui masquent en fait probablement un différent politique et peut-être surtout l’agacement de certains membres devant la mainmise de Sadoul et Thirion (p. 40). Le comité se dissout en 1927, après avoir organisé 18 conférences, 10 concerts, 3 expositions, mais sans avoir atteint son but. Ajoutons que trois contributions évoquent le cinéma (« Le cinéma, Sadoul et le Comité Nancy-Paris », p. 126-133), la musique (« Le Comité Nancy-Paris et la musique », p. 134-141) et les conférences organisées avec la N. R. F. (« Les conférences de la N. R. F. », p. 142-145). Blandine Chavane revient dans sa contribution sur le rôle des œuvres surréalistes dans la désintégration du comité (« Les arts plastiques au Comité Nancy-Paris et l’exposition de 1926 », p. 84-90). Elle explique prudemment que l’exposition de 2006 n’est pas « une véritable reconstitution » mais plutôt une « évocation » : certaines des œuvres exposées étaient désignées dans le catalogue de 1926 par des titres « beaucoup trop vagues » pour qu’on ait pu toutes les identifier avec certitude.
Ce problème se pose encore plus gravement pour la section d’architecture. Les œuvres des Français et des Belges sont succinctement décrites dans le catalogue de 1926 mais pour les Néerlandais, les Allemands et les Autrichiens, ce catalogue ne fournit pratiquement que les noms des architectes. Jean-Claude Vigato consacre une brève contribution à l’action d’André Lurçat au sein du comité (« Le Comité Nancy-Paris et l’architecture », p. 46-48). C’est à Catherine Catherine Colley qu’a échu la difficile tâche d’établir le catalogue de la section d’architecture à partir des informations très lacunaires du catalogue de 1926 et des quelques photographies prises à l’époque qui prouvent qu’on avait présenté des plans mais aussi des photographies, des maquettes et des meubles (p. 49-83). On comprend que les explications fournies à leur sujet soient succinctes : il paraît d’autant plus difficile d’apporter du nouveau sur quelques icônes du mouvement moderne qu’on n’est pas sûr qu’elles aient bien été exposées à Nancy en 1926 (il est d’ailleurs symptomatique que plusieurs des photographies présentées dans le cadre de l’exposition ne soient pas reproduites dans le catalogue, les indications à leur sujet n’étant d’ailleurs pas toujours plus précises que celles du catalogue de 1926… avec pour résultat que le catalogue de 2006 est une évocation de l’exposition qui n’est elle-même qu’une évocation de celle de 1926). L’évocation atteint ici ses limites. Il paraît difficile de déterminer si, comme l’affirme Blandine Chavane, l’exposition de Nancy, constitue bien « une sorte de préfiguration de ce que seront quelques années plus tard les CIAM » (p. 23). Le lecteur en apprend trop peu sur la réception de l’exposition et sur les contacts qui ont pu se nouer : on aurait aimé connaître les dates du séjour de von Doesburg à Nancy, savoir si les architectes exposés, comme d’ailleurs les peintres et les sculpteurs, étaient venus sur place, si la presse parisienne et étrangère avait rendu compte de l’exposition.
Le comité Nancy-Paris a réussi à animer la vie culturelle nancéienne, mais il a échoué à susciter un mouvement comparable à l’épanouissement de l’Art nouveau qui avait permis à la capitale lorraine de rivaliser avec Paris à la fin du XIXe siècle. Il est probable que l’erreur fondamentale résidait dans l’idée de « relier Paris et le reste de la France à la capitale lorraine » : pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, Nancy entretenait des relations culturelles avec les grandes villes françaises telles que Lyon ou Lille et avec la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et les pays germaniques sans en passer par Paris. Les difficultés répétées rencontrées par les membres du comité pour faire venir des conférenciers parisiens à Nancy montrent que la province est à l’époque considérée comme une zone rouge sur le plan artistique et intellectuel. Les membres les plus actifs du comité quittent d’ailleurs Nancy pour Paris peu après la dissolution du comité. Reste à savoir si les moyens de transports modernes qui mettent les capitales provinciales à une heure de Paris vont favoriser la décentralisation ou les initiatives bilatérales qui tournent systématiquement à l’avantage de la capitale. Saluons en tous cas l’initiative courageuse d’une exposition en grande partie centrée sur l’architecture et l’action des archives modernes de l’architecture lorraine.
dimanche 7 février 2010
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