dimanche 7 février 2010

Vom kollektiven Gedächtnis zur Individualisierung der Erinnerung

WISCHERMANN Clemens (Hrsg.), Vom kollektiven Gedächtnis zur Individualisierung der Erinnerung. Studien zur Geschichte des Alltags 18, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2002, 204 p.

De la mémoire collective à l’individualisation du souvenir est le 18e volume de la collection d’Etudes d’histoire du quotidien dirigée par Hans Jürgen Teuteberg et Peter Borscheid. La publication de ce recueil a été dirigée par Clemens Wischermann. Le recueil se compose d’un avant-propos de C. Wischermann, de huit textes, d’une orientation bibliographique et de notices biographiques rédigées par les auteurs eux-mêmes.
A l’exception de C. Wischermann, tous les auteurs appartiennent à la même génération (ils sont nés entre 1962 et 1971). Ils ont tous participé aux travaux d’un groupe de recherche de l’université de Constance fondé par C. Wischermann et, pour certains d’entre eux, à la première publication qui en avait résulté en 1996, constituant le 15e volume des Etudes de l’histoire du quotidien, paru sous le titre La Légitimité du souvenir et la science historique. Il s’agissait alors de poser le « souvenir » comme catégorie historique, en face, ou en tout cas aux côtés de la notion de « mémoire », étudiée en Allemagne par Aleida et Jan Assmann et, parallèlement, en France, par les auteurs des Lieux de mémoire publiés sous la direction de Pierre Nora. La démarche, ici poursuivie, reposait déjà sur le postulat que, depuis le début du 20e siècle, le rapport au passé des individus se construit de plus en plus en fonction d’une « compétence à se souvenir » personnelle et non plus par rapport à une communauté mémorielle globale (avant-propos de C. Wischermann, p.7).
Dans son propre texte, « Collectif, générations ou individu comme fondement de construction de sens à travers l’histoire : réflexions préliminaires », C. Wischermann examine le rôle de l’histoire de la seconde Guerre mondiale dans la mémoire allemande depuis la réunification, notamment au niveau de la « transmission intergénérationnelle » (p. 13). Il en déduit que le 20e siècle a été entièrement marqué par « une concurrence entre des écritures collectives et des écritures personnalisées du passé » (p. 22). Il affirme en conclusion que « La science historique accompagnera le changement de paradigme dans le lien entre présent et passé, décrit sous le nom d’individualisation du souvenir, si elle veut, à l’avenir, atteindre les individus et contribuer à la construction des conceptions individuelles et sociales » (p. 23).
Le premier texte, d’Uta Rasche, porte sur « L’iconographie historique dans le milieu catholique sous l’Empire : concurrence et parallèle à la mémoire nationale ». U. Rasche montre bien de quelle manière une mémoire catholique se construit dans la deuxième moitié du 19e siècle en réaction à l’exclusion des références catholiques au sein de la mémoire nationale à dominante protestante. Elle s’attache en particulier à la figure de saint Boniface, évangélisateur de l’Allemagne, opposé par les catholiques au héros national Hermann le Chérusque, vainqueur des Romains (et donc du pape dans une vision nationale et protestante). Elle conclut son texte prudemment : « Il existe donc des frontières mémorielles, qui courent parallèlement aux frontières des milieux sociaux. Reste à déterminer si les milieux se constituent en raison d’une conception collective du passé efficacement transmise ou si la construction d’une mémoire collective présuppose de son côté l’existence d’une société plus ou moins stable clairement définie » (p. 52). Miriam Gebhardt a porté ses recherches « Sur la psychologie de l’oubli : l’antisémitisme dans les autobiographies juives avant et après 1933 ». Elle insiste sur le fait qu’avant 1933 la plupart des Juifs allemands nient l’antisémitisme ou en minimisent l’importance en en limitant les manifestations à des périodes reculées ou à des Juifs peu assimilés (p. 55). Après 1933 deux attitudes se font jour : certains Juifs allemands persistent dans leurs autobiographies à affirmer l’harmonie des relations entre Juifs et Allemands jusqu’à la prise du pouvoir par les Nazis, 1933 marquant dans cette perspective un tournant décisif ; d’autres auteurs réinterprètent au contraire la phase antérieure à 1933 à la lumière de l’antisémitisme nazi, qui ne serait qu’une exacerbation de l’antisémitisme allemand ayant existé de tout temps. M. Gebhardt remarque que : « Les historiens ne sont pas les seules victimes des mécanismes de réinterprétation de la mémoire collective », avant de conclure que : « La tentative de la part des historiens d’atteindre les conceptions des Juifs allemands antérieures à 1933 à partir des mémoires qu’ils ont écrites après 1945 semble impossible » (p. 63). Au sein de la production de la firme d’état est-allemande DEFA, dont il donne en annexe la filmographie, Stefan Zahlmann a choisi d’étudier trois films dans sa contribution : « Les meilleures années ? La culture mémorielle de la République démocratique allemande dans les films de la DEFA ». Les Aventures de Werner Holt (1965) raconte l’itinéraire d’un Allemand vers l’antifascisme pendant la Deuxième Guerre mondiale, Les Meilleures années (1965) décrit l’ascension jeune homme au sein du SED dans les années d’après-guerre, alors que Les Architectes (1990) est la chronique un peu désabusée d’un jeune architecte berlinois qui refuse de s’engager politiquement. S. Zahlmann insiste sur l’importance du thème de l’antifascisme, central dans les deux premiers exemples qu’il étudie, plus accessoire dans Les Architectes. En tenant compte du fait que les films produits traitent d’événements récents, S. Zahlmann considère ces films comme des « segments d’une culture mémorielle, où chaque génération construit sa propre mémoire filmique » (p. 79). Le texte de Helke Stadtland porte sur « La politique mémorielle en question. Exclusion, amnistie et intégration dans la phase de fondation des syndicats est-allemands ». Elle y traite des procédures disciplinaires et des mesures de promotions décidées par le régime est-allemand dans les milieux syndicaux après la Deuxième Guerre mondiale. H. Stadtland montre bien comment la politique mémorielle du régime est définie en fonction de critères très pragmatiques : des personnalités dociles, même compromises avec les nazis, ont souvent été privilégiées par rapport à d’anciens syndicalistes socialistes qu’on renvoyait à leurs erreurs stratégiques d’avant-guerre. Les trois textes qui terminent le volume se distinguent des quatre précédents en ce qu’ils prennent la forme d’essais théoriques. Dans « Au-delà de la connaissance. La science historique entre souvenir et expérience », Katja Patzel-Mattern examine les théories de la mémoire de différents savants du tournant des 19e et 20e siècles : Henri Bergson, Sigmund Freud, Wilhelm Dilthey, Georg Steinhausen, William James et Georg Simmel. Sa contribution est très utile dans la mesure où les auteurs postulent que l’individualisation du souvenir s’est développée avec le 20e siècle. Les deux derniers textes ont aussi une portée théorique, et même parfois un peu polémique. L’essai de Sandra Markus complète judicieusement l’étude de M. Gebhardt, il porte pour titre une phrase extraite du journal de Max Frisch : « ‘Ecrire signifie : se lire soi-même’ », sous-titré « L’écriture de l’histoire comme construction de sens mémorielle ». S. Markus y examine la possibilité et les modalités de recours aux mémoires, au sens de genre littéraire, dans le cadre de la science historique. Elle ne voit pas d’inconvénient majeur l’utilisation des sources autobiographiques, dans la mesure où « la science historique, comme la science en général, n’a plus à voir, à la fin du 20e siècle avec la production de vérités objectives ni même avec l’approche de telles vérités » (p. 182). Matthias Dümpelmann va encore plus loin en affirmant dès sa notice biographique que « L’histoire – encore une fois – n’est pas intéressante du point de vue de la facticité événementielle d’une période donnée, quoique de nombreux historiens professionnels persistent à se donner du mal à l’atteindre » (notice biographique de M. Dümpelmann, p. 201). La tâche de l’historien consiste à déceler ce qui, du passé, fonctionne dans le présent, sans négliger le fait que ce qui est maintenant révolu nous a auparavant précédé. Le présent de l’individu, et donc son rapport à la communauté, ne se conçoit selon M. Dümpelmann qu’en fonction de ce passé en cours de réélaboration permanente.
On peut, selon moi, évaluer la portée de ce recueil de trois manières différentes, selon le sens que l’on veut bien donner à son titre. D’une part « De la mémoire collective à l’individualisation du souvenir » peut décrire un processus qui conduit, par diverses formes d’appropriations, d’interprétations, de transmissions, à la différenciation de la mémoire collective, jusqu’au point où elle devient souvenir individuel. De ce processus, plusieurs des textes ici réunis fournissent des exemples très probants (c’est le cas de celui d’U. Rasche par exemple). Ce titre comporte aussi une connotation programmatique : comme le revendique d’ailleurs ouvertement C. Wischermann, il s’agit, après les travaux portant sur les aspects collectifs des processus mémoriels menés par les Assmann ou Pierre Nora, de focaliser l’attention sur des formes différenciées de la mémoire, jusqu’à s’intéresser à la valeur historique du souvenir autobiographique par exemple. L’objectif est légitime et en grande partie atteint. On peut enfin, considérer le titre de cet ouvrage comme la description d’un tournant mémoriel survenu au 20e siècle, tournant qui rendrait l’écriture de l’histoire difficile sans le recours à un matériel littéraire autobiographique et à la notion d’individu. Et de ce point de vue l’ouvrage s’avère moins convaincant. Malgré les déclarations péremptoires de certains auteurs, on ne peut considérer l’établissement de faits par la science historique, comme une démarche obsolète et dépourvue d’intérêt, surtout concernant l’histoire contemporaine. D’autres contributeurs du recueil n’ont d’ailleurs pas dédaigné de s’attacher à l’établissement de tels faits. Ces quelques réserves ne retirent rien à la légitimité et à l’intérêt de la démarche de C. Wischermann et des membres du groupe de recherche qu’il dirige. A défaut de constituer la « nouvelle orientation de la science historique » sans laquelle il serait impossible de comprendre le rapport au passé de l’homme contemporain, ce deuxième volume montre amplement le profit que l’historien peut tirer d’un plus grand intérêt porté aux formes individuelles du souvenir.

Cf. aussi Clemens Wischermann (Hrsg.), Die Legitimität der Erinnerung und die Geschichtswissenschaft. Studien zur Geschichte des Alltags 15, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1996, 221 p.

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