dimanche 7 février 2010

LE CORBUSIER, Lettres à ses maîtres I. Lettres à Auguste Perret

LE CORBUSIER, Lettres à ses maîtres I. Lettres à Auguste Perret, édition établie, présentée et annotée par Marie-Jeanne Dumont, Paris, Editions du Linteau, 2002, 256 p.

On peut saluer parmi la pléthorique bibliographie corbuséenne le travail de Marie-Jeanne Dumont, qui s’est attachée à l’édition de la correspondance de Le Corbusier avec ses maîtres. Le premier volume concerne les échanges épistolaires entre Le Corbusier et Auguste Perret, trois autres étant annoncés (respectivement consacrés à la correspondance entretenue par Le Corbusier avec Charles L’Eplattenier, William Ritter et Amédée Ozenfant).
Les deux monstres sacrés de l’architecture moderne française n’ont pas toujours traité sur un pied d’égalité. Le jeune Jeanneret, frais émoulu de l’école de la Chaux-de-Fonds, a été profondément marqué par son passage, en 1908-1909, dans l’atelier des frères Perret. La correspondance échangée, entre 1908 et 1922, avec celui qu’il considérait comme son maître en témoigne, réunissant plus des trois-quarts des lettres publiées. En 1922, une brouille surgit entre les deux architectes et il faut attendre l’après Deuxième Guerre mondiale pour qu’un semblant d’estime réciproque se fasse à nouveau jour.
La perspective est un peu biaisée du fait que seule, ou presque, la partie corbuséenne de cette correspondance, conservée par Perret, nous est présentée. Rares, en effet, furent les lettres de Perret, au demeurant fort laconiques, conservées par Le Corbusier. Mais, les notes de M.-J. Dumont aidant, comblant les silences des correspondants, il est possible au lecteur de pénétrer l’intimité de cette relation de maître à disciple, et aussi d’envisager au « Mouvement moderne » d’autres sources que celle mises en avant par la vulgate pevsnerienne.
Suisse romand de naissance, Jeanneret prend, en 1914, le parti de la France. A l’occasion vaguement antisémite, il sombre dans la germanophobie ambiante, songe à s’engager, mais, finalement, ronge son frein pendant toute la guerre : à Paris, où il se préoccupe d’urbanisme, dans la villégiature provençale des Perret, où il apprend sur le tard à faire du vélo, à la Chaux-de-Fonds, où il conçoit ses premiers projets « modernes » pour la reconstruction des zones détruites par les combats. Ses espoirs ne seront comblés, très partiellement, qu’avec la seconde reconstruction, qui voit en revanche triompher Perret, chargé de la reconstruction du Havre et d’Amiens. Entre-temps, Jeanneret était devenu français et l’un des architectes les plus connus, sous le nom de Le Corbusier. Il avait mis fin, dès 1922, à la relation privilégiée entretenue avec son maître, pour une sombre affaire de « détournement de clientèle ». Une seule rencontre est avérée par la suite, dans les salons du Carlton de Vichy, en 1941.
Les fac-similés de certaines lettres et des croquis les accompagnant, le choix des cartes postales envoyées à Perret, fournissent de précieuses indications sur les références iconographiques du jeune architecte. De même, ses toutes premières lettres témoignent d’un style pour le moins emphatique dont on perçoit ultérieurement de nombreux échos dans son œuvre (par exemple, lettre du 27 nov. 1910 : « Ma nef vagabonde est désormais fixée – jusqu’à son prochain appareillage – en une plaine qui, infiniment loin, conduit l’œil jusqu’à l’insaisissable de son inexorable horizontale », et dans la même lettre : « Et je discerne que l’architecture, – cette garce qui s’est laissée tomber comme une femme publique, a besoin de rudes hommes pour se relever »).
Formons le vœu que le même soin préside à la publication de la correspondance échangée par Le Corbusier avec ses autres maîtres. Les prochains volumes devraient permettre de préciser la formation pour le mois atypique d’un architecte qui n’a pas toujours revendiqué ni assumé toutes les influences qui l’avaient marqué.

Nicolas Padiou

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